Le crime ne doit plus payer en Corse !
Il faut confisquer les biens mal acquis et les restituer à des fins sociales
LE MONDE | 13.12.2012 à 10h35 • Mis à jour le 13.12.2012 à 12h14
Par Vincent Carlotti, ancien maire socialiste d'Aléria et Fabrice
Rizzoli, représentant du réseau FLARE et auteur du Petit dictionnaire énervé de la mafia
Manuel
Valls, le ministre de l'intérieur, n'a pas convaincu en lançant aux
Corses un appel à rompre le silence : cette déclaration a soulevé
une certaine réprobation dans l'île, au point de faire passer au
second plan un ensemble de propositions pourtant décisives.
Soyons
clairs : pour beaucoup de Corses le rapport de forces n'est pas pour
l'instant en faveur de l'Etat, affaibli par un manque flagrant de
résultats et par la perte de confiance dans les institutions après
la calamiteuse affaire du préfet Bernard
Bonnet [il
avait été condamné à trois ans de prison, dont un ferme, le 15
janvier 2003, pour avoir ordonné en 1999 de mettre le feu à deux
paillotes construites illégalement sur le domaine public].
En
face, le crime organisé jouit d'une impressionnante impunité,
dispose de moyens financiers importants et sa puissance de feu est de
nature à dissuader les plus courageux. Difficile dans ces conditions
d'attendre de la population qu'elle s'engage : d'autant que les
messages de scepticisme diffusés par des personnalités parmi les
plus influentes, dans la société civile comme dans la sphère
politique, sont de nature à pousser une population pauvre et
désespérée plutôt dans les bras des voyous, pourvoyeurs d'emplois
dans les secteurs qu'ils contrôlent, que dans le giron de l'Etat.
Pourquoi
dans ces conditions ne pas signer le décret d'application de la loi
sur le statut du "coopérateur" de justice
? Le "voyou" promis à une mort probable se verrait obtenir
le droit de vivre,
lui et sa famille,
en sécurité contre une condamnation et son témoignage aux
procès.Assurer
la sécurité des gangsters en rupture de ban contribuerait à
restaurer
l'image de l'Etat de droit et inciterait les populations à lui faire
confiance (cf. Le statut du coopérateur de justice : la solution?).
De
même, pourquoi ne pas créer un statut de témoin de justice, comme
en Italie,
pour les victimes de racket, les témoins de meurtre et les membres
innocents du clan mafieux qui ont besoin d'être protégés ? Pour ce
qui est du savoir-faire on y vient, semble-t-il. Pour ce qui est du
faire-savoir, on en est encore loin. Il faut que l'Etat apprenne
à communiquer,
ce qu'il a du mal à réaliser. Quand la presse interroge un
procureur elle se trouve confrontée à la langue de bois, elle se
tourne alors vers les avocats de la défense.
Par
conséquent la population n'entend que la parole, certes respectable,
de la défense faite de critiques des méthodes policières et
judiciaires, et se forge ainsi son opinion. Pas étonnant dès lors
qu'elle affiche son scepticisme sur l'action de la puissance
publique. Il convient donc de mettre en place une confiscation
préventive des biens mal acquis (cf. le pdf). Les membres d'une association
criminelle et leurs complices, même s'ils ne sont pas poursuivis
pénalement, doivent justifier de l'origine légale de leurs biens et
de leur financement au risque qu'ils soient confisqués par le
tribunal administratif, procédure validée par la Cour européenne
des droits de l'homme (cf. ici) .
Lorsque
la population prendra connaissance de la confiscation de voitures
de luxe et
de biens immobiliers dans certaines microrégions de l'île, son
regard sur la police
et la justice, et donc sur l'Etat, changera sûrement. Il changera
plus encore si la population constate que cette confiscation se
traduit par une restitution à la collectivité spoliée par les
agissements criminels (cf. Exemple). Au lieu de verser
dans les caisses de l'Etat les fonds ainsi récupérés, il faudra
les investir
dans des projets à caractère social
au bénéfice des populations des zones incriminées. La maison du
gangster doit devenir
un centre
culturel et social (cf. le théâtre de la légalité).
Enfin,
dans une région où la commande publique est très importante,
personne ne comprendrait que l'Etat n'exerce pas sa vigilance de
manière aussi déterminée qu'il l'a affichée dans le domaine du
banditisme, car l'affairisme se nourrit aussi et, peut-être surtout,
d'une certaine porosité entre la sphère politique et la grande
délinquance.
Le
contrôle des marchés publics et le contrôle de légalité des
actes publics doivent être plus rigoureux, et les élus comme les
fonctionnaires convaincus de détournements de fonds publics doivent
être déférés devant la justice : personne ne doit être épargné.
S'ajoute à une situation préoccupante la reprise des attentats sur
des biens appartenant à des continentaux, accompagnée de la
réapparition inquiétante du sigle IFF, "les Français
dehors", sur les murs.
Les
membres du Front de libération nationale corse (FNLC) ont pendant
des années avancé qu'ils constituaient le seul bouclier capable de
contenir
l'expansion du milieu dans l'île. On sait ce qu'il en est advenu :
leur clandestinité est, malgré les apparences, affaiblie, et la
pègre comme le crime organisé ont prospéré. En surfant sur la
sourde inquiétude qui a saisi les Corses devant la vague spéculative
qui nourrit un fort sentiment de dépossession, sinon de spoliation,
ils considèrent qu'ils peuvent reprendre
la main. C'est une dangereuse illusion : dans la confusion qu'ils ont
pris le risque d'instaurer,
il n'y aura qu'un seul gagnant, le crime organisé, et un seul
perdant, le peuple corse.
Le
gouvernement n'a pas tort d'appeler les élus corses à manifester
leur condamnation des attentats : il est dans son rôle. Il serait
cependant plus audible et plus crédible s'il admettait que les
défaillances qui ont caractérisé l'action des pouvoirs publics au
cours des dernières années ont pu convaincre la population que les
associations, d'une part, et le FNLC, d'autre part, étaient les
seuls à "faire le job".
Il
affirme vouloir combattre ces agissements ? Qu'à cela ne tienne, il
lui suffit de mettre sérieusement au travail son administration, de
passer au peigne fin les plans locaux d'urbanisme, les permis de
construire délivrés dans les zones sensibles, et il pourra réduire
au chômage les uns et les autres ! Dans une île qui est,
contrairement aux idées répandues ici ou là, éprise de justice,
les pouvoirs publics sont condamnés à réussir : un échec aurait
des conséquences considérables sur l'opinion publique et
contribuerait à déchirer plus avant les liens de la Corse avec la
République.
Vincent
Carlotti, ancien maire socialiste d'Aléria et Fabrice
Rizzoli, membre de FLARE (Freedom, Legality and Rights in
Europe) à savoir le Réseau européen associatif contre le crime
organisé transnational, il est l'auteur du "Petit Dictionnaire
énervé de la mafia" (éd. l'Opportun, 222 pages, 12,90 €).
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