FLARE France a interviewé Thierry Colombié, chercheur indépendant spécialiste du crime organisé et auteur d'un énième livre, celui-ci sur la mort du juge Michel.
Thierry Colombié, vous étudiez les gangsters français, pourquoi un livre sur le juge Michel ?
Les
gangsters évoquent toujours des règles auxquelles ils ne doivent pas
déroger, la dite « mentalité ». L’une d’elles, importante, interdit à
tout voyou de tuer un policier ou un magistrat. La raison est simple :
si c’est le cas, les flics vont envoyer les filets, réveiller tous les
indics, faire des coups tordus s’il le faut, à la guerre comme à la
guerre, et finalement geler les affaires en cours pendant plusieurs
mois. Dans le Milieu, on ne tue pas pour épargner une vie mais pour ne
pas perdre de l’argent. Nuance. Après Renaud à Lyon, dont on ne sait
toujours pas qui est l’auteur des coups de feu, le juge Michel fut le
second magistrat à être assassiné. Ce qui confirme l’application de la
règle, à deux exceptions près. J’ai voulu savoir quelles étaient les
motivations des commanditaires, et comment ces derniers, depuis la
prison des Baumettes, avaient bénéficié de complicités à l’extérieur.
Autrement dit, comprendre ce qui avait poussé des individus à enfreindre
la mentalité.
A la lecture de votre livre sur le meurtre du juge Michel, il ressort une thèse plus complexe que la vérité judiciaire.
Des hommes du Service d’Action Civique (SAC), à l’époque le bras armé de réseaux politiques, seraient les instigateurs de l'assassinat du magistrat. C'est cela?
Des hommes du Service d’Action Civique (SAC), à l’époque le bras armé de réseaux politiques, seraient les instigateurs de l'assassinat du magistrat. C'est cela?
Pas
des instigateurs mais plutôt des entremetteurs. Iimpliqués dans la
tuerie d’Auriol au cours de laquelle Jacques Massié, autre membre du
SAC, et sa famille avait été massacrée, Collard et Maria ont rencontré
Girard et Filippi aux Baumettes fin juillet 1981. Ecroué par le juge
Michel, le trafiquant de drogue Girard a réalisé ce que l’on appelle
dans le Milieu une « crise de banditisme » : ayant vécu auprès de
mafiosi italiens qui éliminaient des représentants de l’Etat, en
particulier des magistrats, il y avait développé le complexe du mafioso,
devenir plus mafieux que les mafieux. Riche, associé avec des gens en
place, dont Roberto Pannunzi qui deviendra l’un des principaux traders
du business de la cocaïne, rien ne l’empêchait d’éliminer celui qui
faisait obstacle à ses affaires en cours et qui l’accusait d’être le
pivot de plusieurs trafics. Filippi, son père spirituel et longtemps
associé, et Collard vont conforter Girard dans son choix. Entre le
moment où va germer l’idée et le jour de l’assassinat, des scènes pour
le moins incroyables vont se dérouler au sein des Baumettes, et à
l’extérieur.
Passionnant mais pouvez vous nous donner nous l'exemple d'une scène incroyable qui mettrait en scène de la corruption politique?
Le
moment par exemple où Girard rencontre, au parloir, un policier sur le
conseil des hommes du SAC. Le but de Girard, c’est de faire chanter le
policier, faire en sorte que ce dernier lui arrange le coup auprès de
magistrats du Parquet afin d’obtenir une liberté provisoire. Or le
policier, un cadre du SAC et ami de Collard et Maria, ne va pas se
laisser moralement corrompre. Est-ce une corruption politique ? Je
laisse aux lecteurs du livre le soin de juger par eux-mêmes.
Ce
qui est certain, c’est que la corruption, et je montre ses différentes
facettes, est un outil indispensable à tout individu qui désire
consolider son pouvoir, si petit soit-il. Le
juge Michel a utilisé un gardien des Baumettes pour tenter d’extorquer
des aveux auprès d’individus écroués dans l’affaire du Bar du Téléphone,
un massacre ayant laissé dix personnes sur le carreau, exécutées de
sang froid. Dommage que la scène ne soit pas dans le film, La French,
car c’est la seule fois où le juge a outrepassé ses droits. Cela aurait
pu illustrer la façon dont les voyous manipulaient le gardien en
question qui n’avait qu’un seul objectif : se faire bien voir par la
magistrature pour être muté dans une autre prison. Et non faire plaisir
au juge. D’ailleurs, l’affaire du Bar du Téléphone ne sera jamais
résolue. Dans ce dossier, tout le monde s’est fait jongler, Pierre
Michel en premier lieu. Ce dernier était pourtant sur la bonne voie : le
massacre cachait un trafic de fausse-monnaie entre la France et
l’Algérie, et le financement de campagnes électorales. Vous avez dit corruption ?
Justement, vous parlez dans le livre de système clientéliste à Marseille est ailleurs. Pouvez-vous être plus précis ?
Depuis
très longtemps, et ce n’est un secret pour personne, surtout pas pour
les gangsters, les campagnes électorales sont financés par des caisses
noires, lesquelles servent à financer ce que l’on appelle les « faux
frais », des budgets alloués aux garde-robes, par exemple, jusqu’aux
paiements en liquide autorisant l’achat de voix. Donc l’accès au pouvoir
ou sa consolidation, ce qui est encore plus vicieux et coûteux. Sans
parler des promesses permettant à l’un d’obtenir une place en crèche, à
l’autre d’être embauché dans la police municipale. Ce n’est pas de la
science-fiction, suffit de se tourner vers le fief de Dassault où le
système a été partiellement mis à nu, et où l’on voit d’ailleurs comment
les cités, ces zones montrées du doigt à longueur de journée par les
mass médias comme étant la lie de la société, deviennent une pierre
angulaire… D’où vient l’argent ? D’activités clandestines ou d’un
système de rétro-commissions qui brasse des centaines de millions
d’euros que l’on retrouve, et ce n’est pas un hasard, dans le système
politique actuel, à la différence près, que de tels procédés ne sont
plus cachés, étouffés en haut lieu par la baguette magique de ministres
ayant un œil sur les procédures en cours. Certes, le fait que ces
affaires soient largement médiatisées ne change, au fond, pas
grand-chose mais l’émergence d’associations contre la corruption, du
processus des lanceurs d’alerte, montre qu’il est possible de lutter
contre ce fléau. Reste à savoir comment ce même système va contourner
l’obstacle de la connaissance, une réflexion en cours qui vaut son
pesant d’or…
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