Le grand banditisme entre guerre de territoire et « repositionnement »
tishttp://www.corsematin.com/article/papier/le-grand-banditisme-entre-guerre-de-territoire-et-%C2%AB-repositionnement-%C2%BB
Règlement de comptes. Une acception qui ne recoupe que les crimes commis par le milieu ou visant certains de ses membres. En 2010, les services de l'État recensaient 32 homicides et tentatives parmi lesquelles 17 règlements de comptes. Depuis le 1er janvier, sept ont été recensés en Corse sur « 26 homicides et tentatives » selon le coordonnateur des services de sécurité intérieure, Jean-François Lelièvre.
L'analyse à tirer de cette donnée statistique ? Un certain tassement dans la guerre qui agite le grand banditisme depuis la mort accidentelle de Jean-Gé Colonna, le 1er novembre 2006. « On note une montée en puissance jusqu'en 2009 puis une baisse significative les années suivantes », analyse Jean-François Lelièvre qui se refuse à entrer dans le détail des dossiers. « C'est le travail des magistrats », prévient-il.
En 2011, le fossé entre le traitement des dossiers liés au grand banditisme et ceux liés à la délinquance se creuse un peu plus.
Deux fois moins de résultats pour le grand banditisme
Le coordonnateur affiche un taux d'élucidation policière de 52 % pour les homicides et tentatives. Il faut entendre par là des affaires criminelles ayant abouti à des mises en examen, non des personnes ayant été définitivement condamnées.
La proportion cette année pour les règlements de comptes est bien loin du compte : elle dépasse à peine les 28 % avec trois mises en examen sur le double assassinat de Corscia, le 17 février. Pour le reste, aucun développement n'a été constaté. À l'heure où une cinquantaine de dossiers criminels sont instruits hors de Corse, un parterre d'avocats réunis en collectif dénonce la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille. Dirigée par le médiatique procureur Jacques Dallest qui place les médias sur écoute plus vite que son ombre, la fameuse Jirs n'a pas fait la démonstration de son efficacité in situ. La réalité sur le terrain est plus complexe selon les services de l'État. « La plupart de ces assassinats sont commis par des professionnels qui ne laissent que très peu ou pas d'éléments matériels », note Jean-François Lelièvre.
Notant que des magistrats spécialisés sont nécessaires pour poursuivre ces réseaux tentaculaires. À cette équation, il faudrait rajouter des policiers spécialisés également... Car les enquêteurs de la police judiciaire jonglent avec les affaires. Passant des tableaux volés aux braquages de fourgons en passant par les homicides.
Dans la lutte contre le crime organisé, c'est en langage policier une « incidente », (c'est-à-dire une enquête qui ne vise pas directement les faits mais peut concerner une détention d'arme, par exemple) qui permet parfois de mettre en cause des personnes fortement soupçonnées.
Le milieu parle au milieu
Le mobile des règlements de comptes dans l'île ? « Ils ne sont pas reliés au milieu des stupéfiants dans les trois quarts du temps contrairement au Continent », détaille-t-il. « Quinze réseaux de drogue ont été démantelés cette année et huit l'an dernier », rappelle-t-il.
Le propre de ce genre d'assassinat ? « Il choque l'opinion mais il s'adresse d'abord au milieu lui-même », confirme ce bon connaisseur de l'île qui est passé par l'antiterrorisme.
À chaque homicide sa signature. « Les règlements de comptes ont deux toujours deux causes : on tue pour des raisons économiques, (pour éliminer la concurrence), ou bien pour se venger », tranche-t-il. Indéniablement, avec la mort de figures du Sud, ou de la Brise de mer, le paysage des voyous insulaires a changé. En 2010, le Sartenais était à feu et à sang, aujourd'hui, c'est la Plaine orientale. La région ajaccienne tient aussi sa part. Dresser une carte de la Corse noire serait absurde.
« La Corse n'est pas un nouveau territoire, elle a juste connu un repositionnement, et le milieu ne suit pas une hiérarchie pyramidale; chacun joue sa carte et tente de jouer à fond ses opportunités », résume le coordonnateur. Balayant les « dérives colombiennes »servies parfois dans l'émotion, en guise d'évangile policier, par le préfet Leclair, Jean-François Lelièvre n'adhère pas aux théories de la spirale infernale. « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, les règlements de comptes marquent l'opinion parce qu'ils ont lieu sur la place publique, mais il n'y a pas de montée en puissance; malheureusement, la Corse y est habituée », conclut-il. Si une lisibilité commence à transparaître pour bon nombre d'enquêteurs, il n'est pas sûr que celle-ci soit traduite demain en langage judiciaire.